« Capitale écologique » de l’Allemagne, la réputation internationale de Fribourg n’est plus à faire. Ayant conduit systématiquement, depuis les années 70, des programmes ambitieux d’aménagement durable de son territoire, l’agglomération s’est lancée en 1994 dans la reconversion de sa caserne « Vauban » en éco-quartier exemplaire ou presque.
Situé à 3 km du centre-ville de en Allemagne, ce quartier de 38 hectares, déserté par l’armée française en 1992, a accueilli, à partir de 1994, la construction de plus de 2 600 logements individuels et collectifs, divers aménagements socioculturels ainsi que l’implantation d’une zone d’activités de 6 hectares – prévue pour héberger 600 emplois – et un centre de services.
Le quartier Vauban, visant à terme les 5 500 habitants, devait répondre à la demande de logement dans une ville saturée et ciblait donc un public d’étudiants et de parents, cadres et universitaires, souhaitant accéder à la propriété à des tarifs raisonnables.
Propriétaire foncière, la municipalité a imposé, dès l’amont du projet, aux promoteurs privés un cahier des charges exigeant, en matière :
• d’architecture (bâtiments limités à 4 étages, diversité des façades/couleurs, maisons passives, positives…) créant un cadre de vie agréable et reposant,
• d’aménagement urbain, organisé autour des liaisons douces et réduisant autant que faire ce peut l’usage de la voiture (1 place de parking maximum par foyer à prix dissuasif, priorité aux piétons et vélos, aux transports publics, nombreux espaces verts et jardins privatifs non clôturés, équipements scolaires, sportifs, commerces de proximité),
• de politiques sociales et économiques (mixité des emplois, des habitations, des couches sociales, implantation d’espaces citoyens, d’une zone d’activité industrielle, d’accueil de PME et d’artisans)
• de préservation de l’environnement et d’efficacité énergétique (préservation des biotopes, récupération des eaux de pluie, habitat basse consommation – <65 KW/m2/an – et maisons passives, matériaux d’éco-construction, panneaux photovoltaïques, centrale de cogénération).
Le succès de cette démarche est aujourd’hui tangible mais il ne réside pas uniquement dans le regard durable porté, à 360°, par la ville sur les modalités de réalisation d’un quartier écologique, le plus autonome et responsable soit-il (planification urbaine, mobilité, viabilité environnementale, empreinte écologique, plan climat, etc.).
Dès les prémices du projet, une association d’habitants, le Forum Vauban, est constituée et invitée par la ville à participer pleinement au processus de planification du quartier.
Les discussions, en associant les habitants, ont permis, aux autres acteurs impliqués (bureaux d’études, architectes, services techniques), d’évaluer et de corriger, en continu et en direct, le plan d’aménagement adopté. L’investissement des habitants a été croissant tout au long des différentes étapes de reconversion du quartier, notamment grâce aux financements du Programme européen Life qui ont permis la conception d’outils pédagogiques et de communication ainsi que de salarier des animateurs au sein du Forum.
Aujourd’hui, les espaces citoyens de dialogue et de rencontre entre habitants sont pérennes (crèches parentales, jardins partagés, magasins coopératifs, etc.) et autorisent le développement de programmes de sensibilisation ou le montage de projets collectifs visant un mieux-vivre en permanence optimisé.
Cette démarche participative est devenue la signature de Vauban en matière de politique sociale ambitieuse et réussie, puisqu’elle a aussi conduit à l’essaimage d’initiatives d’impulsion citoyenne. Quatre bâtiments des anciennes casernes, squattés par des étudiants et personnes en situation précaire (parents isolés, chômeurs), sont acquis par le collectif SUSI. Les anciens résidants se regroupent au sein de cette structure originale afin de d’entreprendre la régularisation et la réhabilitation de leur habitation. Ainsi naît la SUSI, initiative de logement autogérée et indépendante, qui organise l’accès au logement locatif à bas prix pour des personnes à faibles revenus. Chacun s’engage à réaliser 105 heures de travaux de rénovations, de bricolage ou d’administration des bâtiments, qui lui permettent de baisser significativement le coût de son logement tout en participant à sa conception et son organisation. Cette gestion commune n’a pas pour seul effet la baisse des charges rendant les loyers plus accessibles, elle développe également des liens de voisinage et multiplie les échanges et espaces de dialogues entre les résidants du quartier. En effet, la SUSI gère par ailleurs une crèche, une coopérative bio, des ateliers de bricolage et un café, autant de lieux de vie et de partage.
La coopérative Genova est quant à elle une émanation du Forum Vauban, un produit d’une volonté citoyenne. Elle entreprend la construction de nouveaux logements économiques et écologiques. Surtout, elle accorde une attention particulière à l’aménagement de lieux de vie sociale et de convivialité entre les résidents par la construction d’une salle polyvalente ou par la conception d’espaces semi-publics (passerelles reliant les bâtiments, jardins, cheminements autour des immeubles, etc) propices à l’interaction sociale.
Ces premières impulsions entrainent la multiplication des Baugruppen, ces « groupes de construction » réunissant riverains et techniciens afin de bâtir ensemble un projet d’îlot d’habitations. C’est un véritable modèle de développement urbain qui s’est ainsi forgé, reposant sur la participation des futurs habitants à la conception et à la réalisation de leur quartier dans un esprit citoyen et démocratique, et réduisant les coûts de construction en supprimant la case « promoteurs immobiliers ». La ville de Fribourg nous gratifie donc, avec la réhabilitation de Vauban, d’un exemple à suivre en matière de mise en œuvre de politiques publiques à la fois audacieuses, cohérentes et viables.
Cependant, ces initiatives citoyennes n’ont pas suffi à compenser la réduction drastique des fonds alloués aux logements sociaux. Et l’on sait déjà que la mixité sociale a atteint ses limites : 75% des habitants appartiennent à la classe CSP +. D’autre part, l’évaluation des résultats du programme n’est pas encore disponible et il est difficile de se prononcer l’ (in)efficacité des mesures choisies. Les surcoûts induits par les aménagements environnementaux sont de l’ordre de 3% à 5% supérieurs ceux d’un chantier classique.
Surtout, une telle ghettoïsation des classes supérieures est un marronnier en matière d’aménagement durable. Que l’ironie du sort veuille que cette éco-forteresse porte le nom de « Vauban » en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir pour imaginer les fondations d’une ville effectivement durable.
Carlos De Freitas, Eurêka 21, le 4 février 2009
Pour en savoir plus…
Le site officiel du quartier de Vauban
Guide des quartiers durables par l’ARENE IDF
Fiche d’expérience sur Vauban par Energie-Cités