RURENER : Les petites communes rurales sur le chemin de la neutralité énergétique

novembre 2009 11 min de lecture
Créateur : Galeanu Mihai | Crédits : Getty Images/iStockphoto

Telle est l’ambition de « RURal communities for ENERgetic neutrality » : développer une politique énergétique durable afin de valoriser un territoire en milieu rural. Sélectionné dans le cadre du programme européen « Energy Intelligent Europe 2007-2013 », il constitue un réseau d’experts accompagnant les communes rurales dans l’élaboration d’une stratégie énergétique.

 

Depuis trop longtemps, le monde rural est tenu à l’écart des grands projets de développement durable. Faiblesse des moyens, dispersion des habitants sur de vastes territoires, éloignement géographique des centres de décisions politiques en sont les différentes causes. Pourtant, les communes rurales représentent la plus grande partie du territoire européen. De par leur proximité des ressources naturelles, elles sont amenées à jouer un rôle décisif dans un développement territorial plus durable.

Les douze partenaires européens du projet RURENER accompagnent quatorze communes pilotes sur le chemin de la neutralité énergétique au sein de ce réseau en construction. Le projet présente deux grandes phases : la construction d’outils méthodologiques pour des politiques énergétiques plus efficaces ; la dissémination des bonnes pratiques à l’échelle européenne grâce au réseau. RURENER s’est engagé auprès de la Commission à réunir 100 communes rurales d’ici 2011.

Eurêka 21 a rendez-vous avec Aline Brachet, chargée de mission chez ADIMAC, Association pour le développement industriel et économique du Massif Central, coordinateur du projet.

Eurêka 21 : Parlez-nous du projet RURENER…

Aline Brachet, ADIMAC : RURENER est un projet européen de réseau accompagnant les petites communes rurales vers la maîtrise de l’énergie. Nous avons identifié les politiques énergétiques comme un moyen de promouvoir le développement du territoire, la création d’emplois et d’activités au niveau local. Notre cible était dès l’origine le monde rural. Nous avons estimé que les grandes communes avaient déjà leur réseau, les capacités financières et humaines. Elles ont un département « Environnement » ou « Energie ». Les petites communes rurales n’ont pas ce genre de moyens et sont souvent loin des centres de décisions européennes.

E21 : Comment le projet est-il né ?

AB : Nous avons pris l’initiative du projet avec la volonté de s’inscrire dans le programme Energy Intelligent pour l’Europe en 2007. RURENER commence en 2008, avec une rencontre de l’ensemble des partenaires dès février.

E21 : Qui sont les partenaires ?

AB : ADIMAC est le coordinateur du projet. RURENER compte douze partenaires de huit pays différents : Hongrie, Grèce, Espagne, Italie, Allemagne, Roumanie, Grande-Bretagne, France. Ils représentent trois types d’acteurs à la fois publics et privés : des experts en énergie ; des experts en management et communication à travers les TIC ; des acteurs spécialisés dans la mise en réseau et le développement local.

E21 : Comment les avez-vous identifiés ?

AB : Nous avons utilisé les outils des Agences de l’Union européenne, l’EACI [Executive Agency for Competitiveness and Innovation, ndlr]. Cela s’est fait aussi un peu par hasard, lors d’une réunion à Bruxelles dédiée au programme Energy Intelligent. En discutant avec les personnes présentes, nous nous sommes rendus compte que nous avions un projet similaire. Nous avons aussi eu recours à des bourses aux partenaires sur les sites de la Commission européenne. Dans le choix de nos partenaires, il était important d’obtenir une complémentarité des compétences de chacun.

E21 : Comment les communes membres du réseau ont-elles été sélectionnées ?

AB : Nous avons quatorze communes pilotes représentant les huit pays du projet. Chaque partenaire, à l’exception de ceux au rôle plus transversal, a choisi quelques communes sur son propre territoire. Le critère déterminant était la motivation des élus, que les partenaires ont pu identifiés grâce à une bonne connaissance de leur territoire. Les communes sont de taille différente : de 200 à plus de 10 000 habitants. Les problématiques sont différentes.

E21 : Quels obstacles rencontrent les petites communes ?

AB : L’élu, le Maire ou le Président lorsqu’il s’agit d’une Communauté de communes, est pratiquement tout seul pour mener son projet énergétique. La difficulté est de définir une véritable stratégie énergétique avec des moyens très réduits. Le budget d’une commune de 100 ou 200 habitants ne permet pas des investissements suffisants. Nous allons travailler avec les communes sur la mobilisation des subventions publiques. Mais celles-ci se réduisent chaque année. Les communes vont devoir imaginer de nouveaux partenariats pour financer leurs projets.

E21 : Que peut leur apporter le réseau RURENER ?

AB : Nous réalisons un diagnostic énergétique des communes pilotes afin de définir un « état zéro » à partir duquel élaborer une stratégie quantitative et qualitative. Aujourd’hui, nous construisons les outils que le réseau va apporter à ses membres : par exemple, un itinéraire des principales étapes pour devenir neutre en énergie. Un service d’expert en ligne va être mis en place. Rurener s’engage à créer des jumelages entre communes, parfois sur la base de tutorat, lorsqu’une commune novice s’associe à une autre plus avancée sur le plan énergétique.

E21 : Sur quelles bases se créent les jumelages ?

AB : Chaque commune va choisir parmi les autres membres du réseau celle dont elle est la plus proche sur le plan du contexte, des objectifs, ou du contact humain. Nous ne forcerons pas la main aux communes, car les jumelages se construisent dans le temps. Au cours du projet, les élus vont se rencontrer à trois reprises. Une rencontre a déjà eu lieu en février 2009, suivie d’une deuxième en janvier 2010, puis d’une troisième en 2011. C’est peu, mais une petite commune n’a pas les moyens financiers pour se déplacer. Nous exploiterons au maximum les technologies de l’information et de la communication. Une fiche résumée de chaque commune illustrée par des bonnes pratiques sera mise à disposition du réseau. Lorsque le réseau s’étoffera, avec un objectif à terme de 100 communes, nous mettrons en place des outils de recherches par thèmes ou par mots clés. Nous cherchons à rendre les collectivités locales le plus autonomes possible, à leur fournir une information plus ciblée.

E21 : Quels sont les premiers exemples de mesures mises en place par les communes ?

AB : A Tirano, dans le nord des Alpes italiennes, 80% de la population se chauffe avec une chaudière bois, ce qui est presque banal. L’originalité du projet est son financement par la population elle-même. Les habitants sont actionnaires de la société qui les chauffe. Une piste de réflexion est le covoiturage. Le « dernier kilomètre » pose toujours problème : imaginons que quatre personnes prennent la même voiture, on ne sait pas y mettre quatre vélos pour effectuer le dernier kilomètre menant chaque personne à son bureau. Un autre levier d’action est le télé-travail. Il ne s’agit pas de travail à domicile, mais d’un bureau plus proche de chez soi, réunissant des travailleurs de différentes entreprises mais habitant dans le même secteur. Les télé-travailleurs utilisent les outils informatiques pour être en relation avec leur entreprise. Nous menons des expérimentations dans ce domaine en réinvestissant dans un patrimoine de valeur pour y installer un centre de télé-travail. Ces solutions sont conditionnées à l’infrastructure haut et très haut débit, qui n’existe pas tout le temps en milieu rural.

E21 : Vous ne vous limitez donc pas à une politique strictement énergétique ?

AB : La maîtrise de l’énergie n’est pas le seul enjeu. Elle vient presque en prétexte. Sur les trois ans du projet, nous espérons démontrer que la maîtrise de l’énergie est un axe de développement rural majeur. Nagypali, commune hongroise de 380 habitants, répond au problème de désertification rurale par sa politique énergétique. Ils ont créé un « éco-centre innovation » qui assure une mission de formation sur les énergies renouvelables : géothermie, chauffage par bois, solaire, etc. Un projet de centrale au biogaz et à biomasse a mobilisé des entreprises pour venir s’implanter et créer de l’emploi localement. La commune de Peyrelevade en Corrèze a choisi d’installer un réseau de chaleur des bâtiments communaux. Au lieu de faire appel à un approvisionnement extérieur, elle a créé un emploi sur son territoire. Un agriculteur local avait trois fils, donc trop de repreneurs potentiels de l’exploitation familiale. Un des fils s’est spécialisé dans la production de plaquettes forestières pour alimenter le réseau de chaleur.

E21 : Comment s’organise la coordination entre les partenaires du projet ?

AB : Comme tout projet européen, nous avons structuré le projet en « lots d’activités », appelés « work packages ». Au nombre de six, ils ont été définis en fonction des étapes majeures du projet . Chez ADIMAC, nous sommes en charge du premier work package concernant toute la partie managériale du projet. Le deuxième a trait à la construction des outils proposés par le réseau pour aider les collectivités locales dans la maîtrise de l’énergie. Le troisième concerne la mise en réseau : le jumelage des communes, les outils web, etc. Le quatrième correspond à l’action locale : les actions de terrains mises en œuvre par les communes. Le cinquième rassemble les activités de communication, de diffusion et de formation. On y voit par exemple la construction des outils web, newsletters etc. Le sixième est en lien avec la communication auprès de la Commission européenne. Chaque work package se constitue d’une mini-équipe avec des responsables de tâche. La coordination entre les différents work packages se fait au sein des comités de pilotage réduits une fois toutes les deux semaines.

E21 : Travailler avec huit pays différents… Est-ce difficile ?

AB : La grande difficulté est que les partenaires ne se voient que deux fois par an. Nous organisons deux conférences téléphoniques par an, avec les douze partenaires, avant les grandes conférences. Mais une conférence téléphonique à douze ne peut pas être opérationnelle. Nous avons des réunions tous les quinze jours avec les managers de work package pour suivre les évolutions opérationnelles, les managers redescendent ensuite vers leur équipe. Un comité de suivi est organisé par téléphone tous les deux mois.

E21 : Vos conseils pour un projet de coopération transnationale réussi ?

AB : Plus on est précis sur le rôle de chacun en amont, mieux le projet fonctionnera. Il faut avoir un plan de travail très clair avec des tâches et des livrables définis. Le travail de la Commission européenne en amont, appelé « phase de négociations » donne des outils très intéressants pour la coordination du projet. Il faut bien définir ce que chacun entend derrière les mots. Mener un projet au niveau européen impose d’être constamment dans le décryptage de l’autre. Je conseillerais de garder un lien constant avec les « project officers », qui sont les relais au sein de la Commission européenne. Ce n’est pas toujours facile, car l’opérationnel, le projet en lui-même prend du temps aussi. On évalue mal le nombre d’heures consacrées au projet, on imagine toujours que le projet va nous prendre moins de temps.

E21 : Et le mot de la fin …

AB : RURENER est une réelle aventure pour nous, nos partenaires européens et les communes membres du réseau. L’enthousiasme de chacun, la créativité collective et l’ambition partagée nous portent et nous font réaliser la force de cette fameuse « ouverture européenne ». Reste à inscrire concrètement sur le terrain des territoires ruraux les résultats d’un développement pérenne. Encore des défis à relever !

Propos recueillis le 30 juin 2009 par Zita Tugayé, Eurêka 21

Pour en savoir plus…
Le site officiel de RURENER
Fiche présentation du projet

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