Mulhouse, une ville pionnière en coresponsabilité – L’INTERVIEW

février 2013 9 min de lecture
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Dans un territoire de coresponsabilité, l’ensemble des acteurs se concerte, et s’engage pour améliorer le bien-être de tous. Les pouvoirs publics, les institutions, les acteurs associatifs, les entreprises et les citoyens de la Ville se mobilisent. Premier territoire coresponsable en 2005, Mulhouse est aujourd’hui à la tête du réseau européen de territoires de coresponsabilité TOGETHER dans le cadre du programme européen URBACT . Sébastien Houssin, chef de projet Territoire de coresponsabilité à Mulhouse, nous présente la démarche.

Eurêka 21 : Pourquoi Mulhouse s’est engagée dans la démarche de territoire de coresponsabilité ?

Sébastien Houssin : Cette démarche a été présentée en octobre 2005 par le Conseil de l’Europe lors d’une séance du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Le maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, y était présent. Il a décidé de la mettre en place, la ville étant l’héritière d’une longue tradition de concertation, ayant notamment été parmi les premières villes françaises à créer des conseils de quartier. Dès fin 2005, la démarche se concrétise et un premier plan d’action voit le jour.

E21 : Quelles ont été les premières étapes de la démarche ?

S.H. : Mulhouse a suivi la méthodologie proposée par le Conseil de l’Europe. Un premier plan d’action a été élaboré en deux ans, puis mis en œuvre fin 2007. Concrètement, la constitution d’une équipe locale de coordination a été la première étape. Elle a rassemblé autour d’un noyau d’agents municipaux, 8 à 16 personnes (groupes associatifs, entrepreneurs, citoyens). La mairie a mobilisé les membres les plus pertinents de ses réseaux pour monter cette équipe. Sa mission a été de s’approprier, d’animer et de coordonner la démarche avec l’aide à la réflexion du Conseil de l’Europe.

E21 : Comment a été réalisée la première expérimentation ?

S.H. : L’équipe locale a mobilisé ses réseaux, a réalisé du porte-à-porte et a présenté la démarche dans la presse locale pour mobiliser en 2006 quelques 300 habitants. Ils ont été répartis dans des groupes dits « homogènes » aux caractéristiques identiques (jeunes, retraités, femmes au foyer…). Chaque groupe a disposé d’une heure pour répondre à trois questions : qu’est-ce que le bien-être ? Qu’est-ce que le mal-être ? Qu’êtes-vous prêts à faire pour améliorer le bien-être collectif ? Ils ont ensuite été réunis dans des groupes dits « arc-en-ciel » pour établir une définition commune. Une cinquantaine d’indicateurs de bien-être a été établie en fonction des différentes réponses des groupes et de leur définition commune de bien-être. Le logiciel Espoir, mis en ligne par le Conseil de l’Europe, a été utilisé pour créer ces indicateurs. A chaque indicateur correspondait différentes situations : de « très mauvaise » à « idéale ». La grille d’indicateurs a été validée par les groupes puis a servi à l’évaluation du bien-être par les Mulhousiens de manière individuelle. Une synthèse des résultats a permis de réaliser des statistiques générales, d’obtenir une évaluation qualitative sur le bien-être et un éclairage sur les différentes évaluations en fonction des publics (jeunes, personnes âgées).

E21 : Quelles actions concrètes ont été menées suite à cette première étape ?

S.H. : 10 actions pilotes ont été réalisées à Mulhouse. Chacune était suivie par deux à trois membres de l’équipe locale de coordination. Le contrat social multipartite (CSM) a par exemple été mis en œuvre par le service d’action sociale de la collectivité pendant une période de 10 mois. Son but a été d’améliorer la situation des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) en définissant ce qu’était pour eux le bien-être pendant les trois premiers mois. 10 à 16 bénéficiaires ont été orientés par les assistantes sociales pour participer au CSM. Un contrat a été ensuite signé par les acteurs pour réaliser pendant six mois des ateliers correspondant à une série d’engagements et répondant à l’aspect multidimensionnel du bien-être. Les ateliers ont ainsi poursuivis plusieurs objectifs. Ils se sont axés par exemple sur l’amélioration de la gestion du budget, le développement de la confiance en soi et des relations sociales.

E21 : Un autre exemple ?

S.H. : Le lycée Albert Schweitzer a aussi fait entrer la démarche de coresponsabilité dans son projet d’établissement en 2008. Dans chaque classe des lycéens ont contribué à la première étape de définition du bien-être. Sur la base du volontariat les lycéens ont participé aux étapes suivantes de l’analyse du bien-être et de la création d’actions concrètes. Plusieurs actions ont vu le jour comme la création d’une journée des paroles ou encore la présentation du personnel TOS en début d’année scolaire. Les rendez-vous de la consommation responsable sont aussi une autre illustration concrète de la coresponsabilité. Ils ont été tenus à l’échelle d’un quartier. Il s’agissait de favoriser une consommation ayant un impact positif sur la vie sociale et l’environnement des habitants. Cette action a été portée par l’association citoyenne TerReS en partenariat avec un centre social. Plusieurs soirées débats, ateliers pratiques et visites de terrain ont été organisés. Un atelier a porté sur la confection de cosmétiques et de produits d’entretien à domicile, une autre sur la participation à une Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP). Une visite de l’éco-quartier de Fribourg a permis aussi aux habitants de se familiariser aux bâtiments à basse consommation énergétique.

E21 : Quels sont principaux résultats?

S.H. : La poursuite des actions témoigne de leur influence positive. Le CSM a déjà été renouvelé trois fois. Le lycée Albert Schweitzer travaille aussi au prolongement de son action. Ces résultats dépendent surtout de la participation des différents publics mobilisés. La motivation des habitants a facilité la mise en place de certaines actions comme les rendez-vous de la consommation responsable. Ils se sont généralement montrés créatifs et réalistes dans leurs aspirations.

E21 : Quelles difficultés avez-vous rencontrées?

S.H. : La mobilisation des citoyens a été la plus grande difficulté à surmonter. La dynamique de coresponsabilité n’est pas allée de soi. Les bénéficiaires du RSA se trouvaient dans une posture de revendication et dans une vision assez négative du bien-être. La continuité du projet a cependant permis leur engagement progressif. Dans l’établissement A. Schweitzer, les nouvelles promotions de lycéens se sont d’autant moins mobilisées qu’elles n’avaient pas participé à la première étape de la démarche, la définition du bien-être. Or le renouvellement de cette première étape n’aurait pas nécessairement engendré de nouveaux indicateurs. La poursuite de la démarche est à repenser.
Le temps imparti à chaque action n’a pas permis, d’autre part, certaines réalisations collectives ambitieuses. Dans le cadre des rendez-vous de la consommation responsable, un exemple est révélateur. La montée d’une coopérative d’achat par six habitants volontaires n’a malheureusement pu aboutir dans les délais de l’action. Le projet a cependant été repris et porté par le centre social.

E21 : Qui finance les actions ?

S.H. : Le financement de chaque action est distinct et émane du porteur de projet lui-même. Le CSM a été financé par le service d’action sociale de la Ville de Mulhouse ainsi que par l’Etat dans le cadre de l’agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE). La démarche de coresponsabilité appliquée au lycée Albert Schweitzer a relevé quant à elle des fonds de l’établissement.

E21 : Vous êtes le chef de file du projet TOGETHER du programme européen URBACT. Qu’avez-vous retiré de ce réseau?

S.H.: Mulhouse a été, parmi les partenaires de TOGETHER, le premier territoire à expérimenter la démarche. La municipalité a donc, dans un premier temps, apporté son témoignage aux territoires partenaires. Dans un second temps Mulhouse s’est enrichie des expériences menées dans les autres territoires. La commune belge de Braine l’Alleud a développé de façon inédite l’auto-évaluation des actions par les porteurs de projets et les bénéficiaires. Les rencontres trimestrielles des huit villes européennes participantes assurent les échanges réguliers des bonnes pratiques et contribuent à enrichir la démarche.

E21 : Quelles sont les perspectives de cette démarche ?

S.H : La municipalité procède actuellement à une évaluation en vue de créer un second plan d’action. Mulhouse souhaite pérenniser et essaimer la démarche à partir des dix actions pilotes conduites, et peut-être renouvelées. Poursuivre la démarche contribue à réduire certains problèmes de cohésion sociale au sein de la ville.

E21 : Quels conseils donneriez-vous à une commune pour mettre en place la démarche de territoire de coresponsabilité ?

S.H. : La commune doit rester ouverte à la démarche et aux réponses de ses habitants, même les plus inattendues. Préalablement il est aussi important de savoir jusqu’où le territoire est prêt à s’engager (champs d’action, population, lieu etc.). Le portage politique du projet compte enfin fortement : sa réussite dépend de l’implication des élus, et des citoyens bien entendu.

A découvrir prochainement sur notre site : l’article consacré à la démarche de territoires de coresponsabilité

Propos recueillis en mai 2012 par Laure Lhermet, Eurêka 21

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