L’éco-agglomération transfrontalière d’Alzette-Belval au service de la qualité de vie des habitants – L’INTERVIEW
Le projet de rénovation urbaine Alzette Belval fait parler de lui : label éco-cité, opération d’intérêt général et démarche de coopération transfrontalière. Où en est ce projet ? Quels sont les premiers résultats ?
Emmanuel Brandenburger, Directeur général des services de la Communauté de communes du Pays Haut Val d’Alzette et coordinateur français du projet revient sur cette coopération franco-luxembourgeoise.
E21 : Quelles ont été les motivations initiales du rapprochement avec le Luxembourg ?
Emmanuel Brandenburger : Depuis une dizaine d’années se met en place au Luxembourg, le projet Belval avec la création d’une nouvelle ville et la prise en compte des dimensions habitat, développement économique et services à la frontière. Le projet Belval, ce sont 120 ha à rénover. Du côté français, le gouvernement a lancé un programme de réhabilitation similaire. Notre territoire disponible représente 400 ha en grande partie agricole, auxquels s’ajoutent, au sud, 350 ha de friches industrielles, propriété publique. Cela revient donc à 800 ha de terrain nu en face d’un projet Belval très dense en terme d’activités projetées.
E21 : Quelles sont les attentes de chaque côté de la frontière ?
E.B : Des réflexions ont été engagées au début des années 2000, à l’initiative du gouvernement français. Un Comité de pilotage s’est constitué en associant les grands donneurs d’ordre : l’État, les Départements et les communes françaises. Cela a abouti en 2005 au schéma directeur Alzette-Belval. La première réalisation transfrontalière est la construction d’une nouvelle voie de désenclavement partant de la Meurthe et Moselle, passant à proximité des villes de la vallée de l’Alzette pour arriver ensuite directement à Belval et relier le réseau routier luxembourgeois. Les deux Etats français et luxembourgeois se sont entendus sur le tracé et le financement, s’élevant à 38 millions d’euros dont 6 millions de participation luxembourgeoise. La maitrise d’ouvrage est assurée par les deux Départements français et la réalisation est attendue pour 2013. C’est autour de cette route que se sont construites les grandes orientations du schéma d’aménagement Alzette – Belval 2015.
E21 : Où en est le projet tel que défini dans le schéma directeur Alzette-Belval 2015 ?
E.B : Le schéma directeur n’a été rédigé que du côté français, à l’époque où la coopération avec le Luxembourg ne s’était pas encore concrétisée. Depuis 2005, ce schéma a été décliné en études complémentaires pour y intégrer la dimension transfrontalière. La première étude, concernant la friche de Micheville, a été rendue en 2009. Une partie est en cours d’aménagement en zone économique. L’objectif à terme est d’attirer 10 000 habitants et 11 000 travailleurs dans un cadre de vie agréable où un tiers du bassin aménagé sera consacré à la valorisation d’une trame verte et bleue. Un technopole urbain et des installations sportives et culturelles sont également prévus à cet endroit. L’exploitation d’un ex-crassier de 180 ha dont la remise en état est programmée sur 2015-2020 à la porte de Belval, abritera un pôle technologique et des habitats étudiant. Trois cabinets d’urbanisme travaillent actuellement sur cette friche transfrontalière.
E21 : Comment fonctionne le partenariat transfrontalier ?
E.B : Ce partenariat entre les deux gouvernements se concrétise par la création d’un Groupement européen de Coopération Territoriale dont le siège sera en France.
Quant aux correspondants les plus directs de l’intercommunalité, ce sont les deux villes d’Esch et de Sanem les plus concernées par le projet Belval. La frontière n’existe pas pour nous. Pour plus d’efficacité, on a créé un organe, le Conseil Communal transfrontalier, n’existant nulle part ailleurs en Europe. Ce conseil rassemble les 12 villes du projet et se réunit tous les 3 mois pour débattre, devant une assemblée d’élus et de partenaires invités, sur plusieurs projets relevant de compétences transfrontalières : le transport et la culture notamment. Les maîtrises d’ouvrage restent nationales pour l’instant.
E21 : Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la conception et de la mise en œuvre du programme ?
E.B : La principale difficulté était qu’on ne se connaissait pas. C’est seulement maintenant que l’on se rend compte que l’on partage un projet commun mais cela n’est pas toujours facile. Au niveau des transports par exemple, la diversité des acteurs luxembourgeois ralentit la mise en œuvre d’un programme commun. Il est difficile de réunir les bonnes personnes au bon moment pour parler de la même chose. Le projet d’un tram-train qui viendrait irriguer la partie luxembourgeoise et dont le prolongement serait la partie française en est la preuve : il y a eu de nombreuses réunions techniques, une étude de faisabilité mais le financement du projet n’est pas encore établi. C’est donc un projet attendu sur le long terme. En revanche, outre les sentiers de randonnée, un projet de minibus, de navette desservant Esch zannen et le territoire français dans une boucle transfrontalière, verra sûrement bientôt le jour.
E21 : Quelle est la clé de la réussite d’un tel projet transfrontalier ?
E.B : Cela repose sur deux conditions indispensables : d’une part, une vraie gouvernance commune et un partage des enjeux par tous les acteurs afin d’être sûrs d’avancer dans la même direction. Cela implique une volonté politique de concentrer des moyens suffisants sur le projet. D’autre part, des moyens financiers et humains doivent être significatifs pour être à la hauteur d’un projet aussi ambitieux. En France, par exemple, il manque un établissement public d’aménagement pour financer les projets locaux. Le Luxembourg a dégagé 2 milliards d’euros d’investissements pour ce projet, on espère 1,5 milliard d’euros de l’Etat français.
E21 : Dans quelle mesure les habitants et les citoyens de la région ont-ils pu participer au programme ?
E.B : On a essayé de diffuser un grand nombre d’informations auprès du public via la presse régionale, le bulletin d’information communautaire et d’autres supports média. Mais, on n’a pas encore initié le cycle des réunions participatives avec les habitants. Il est encore trop tôt pour une présentation du projet au public. Cela risque d’être perturbant et frustrant tant que le stade des premières négociations transfrontalières n’est pas achevé. Dès que les grands principes d’aménagement seront posés, nous reviendrons naturellement vers les habitants pour les associer à la réalisation des projets.
E21 : En quoi votre expérience serait-elle facilement transférable dans une autre collectivité européenne ? Vous êtes-vous inspirés d’autres expériences européennes ?
E.B : Notre situation géographique n’est pas plus particulière qu’ailleurs sur la frontière Est française. Nous nous sommes inspiré des réussites des GECT entre Lille et la Belgique et à Genève. Nous avons su en tirer des leçons pour notre propre région.
E21 : Avec le recul, quelles seraient vos recommandations à une collectivité locale, intéressée par un projet similaire ?
E.B : Tout d’abord, il faudra user de patience car ce genre de projets met du temps à se mettre en place. La seule phase de réflexion peut durer de 5 à10 ans. Ensuite, il est impératif de doter les politiques locales de moyens financiers mais surtout humains car il y a beaucoup de réunions longues et prenantes.
E21 : Trois mots pour résumer votre projet ?
E.B : Ambitieux, compliqué, mais valorisant.
Propos recueillis par Marie Clémendot pour Eurêka 21, Mars 2010.
A découvrir également sur notre site : l’article d’Eurêka 21 sur l’éco-agglomération d’Alzette-Belval.