Le projet « Incendi » : quand l’Europe éteint les feux – L’INTERVIEW

octobre 2009 7 min de lecture
Créateur : Dimple Bhati | Crédits : Getty Images

« Incendi » est un projet du programme européen Interreg IIIC de coopération transnationale. Son challenge ? Coordonner et mutualiser les actions et compétences des collectivités européennes au niveau régional, départemental et intercommunal en matière de prévention et lutte contre les incendies. Eric Adrien, du Conseil général du Gard, Luis Berbiela Mingot et Antonia Llabrès de la Région des Baléares partagent avec Eurêka 21 leur vision et expertise de la coopération européenne.

 

Eurêka 21 : Comment le projet est-il né ?

Eric Adrien : Ce projet est issu de deux principaux réseaux de collectivités territoriales : l’Arc latin, représentant des Conseils généraux de la Méditerranée, et la CRPM [conférence des régions périphériques et maritimes, ndlr], et plus spécifiquement sa « Commission Méditerranée ». Les responsables des deux réseaux de la thématique environnement et risques naturels se sont rencontrés pendant près d’1an en 2003-2004. Ils sont rapidement tombés d’accord sur le thème des incendies. Puis grâce à la région PACA, qui a accepté d’être le chef de file, le projet est né et a fédéré des régions et des départements de tout le pourtour méditerranéen : espagnols, grecs, portugais, italiens et français, avec un observateur marocain, de la région de Tanger.

Luis Berbiela Mingot et Antonia Llabrès : nous nous sommes réunis en 2004 pour élaborer une candidature commune à l’appel à propositions du programme Interreg. Notre projet portait sur une coopération dans la prévention et la lutte contre les incendies. En 2005, notre projet est sélectionné, la région PACA est devenue chef de file.

E21 : Concrètement, en quoi consiste-t-il ?

EA : Avant 2005, chacun travaillait dans son cadre juridique et national. Il y avait très peu d’échanges ou d’actions communes. Nous avons commencé par mettre en place des « groupes d’expertise croisée » : deux personnes par partenaire ont recensé modélisé les pratiques des collectivités partenaires sur des thèmes variés : information et sensibilisation des habitants, touristes et randonneurs ; la formation des élus sur le risque incendie ; la cartographie, etc. A partir de ce travail, nous avons élaboré des actions communes mises en pratique dans la campagne de lutte et de prévention contre les feux de l’été 2006 et 2007. Fin 2008, nous avons pu en tirer les enseignements et établir des prescriptions communes à l’ensemble de la zone méditerranéenne. Ce travail n’avait jamais été fait auparavant de façon si précise.

LBM & AL : Nous avons mis en place différentes actions au niveau de la prévention, de la sensibilisation, de l’extinction, de l’organisation des centres opérationnels, de la restauration après l’incendie. Nous travaillions sur deux niveaux : la sécurité et la régénération de l’habitat et de la végétation.

E21 : Qu’apporte la dimension transnationale au projet ?

EA : La coopération transnationale permet un transfert d’expériences très riche mais aussi des actions avec des protocoles communs. Les collectivités impliquées sont plus ou moins avancées les unes par rapport aux autres selon les sujets. Par exemple, le Portugal et la Grèce, jusqu’à ce qu’ils connaissent des feux assez dramatiques, appliquaient la stratégie anglo-saxonne. Pour résumer, on surveille et on attaque massivement le feu lorsqu’il apparaît, mais on fait très peu de prévention et de sensibilisation. La coopération sur le projet Incendi leur a permis de s’aligner sur le modèle européen. Autre exemple : La région Baléares est très en avance par rapports aux autres partenaires sur le travail de fond auprès des habitants, la sensibilisation, l’organisation des volontaires. Nous avons pu étudier leurs façons de faire.

LBM & AL : Nous sommes une communauté isolée au milieu de la Mer Méditerranée. La coopération, l’échange d’expérience sont primordiaux pour notre région. Cette coopération transnationale nous a permis de construire une identité collective à la fois méditerranéenne et insulaire, avec la participation des régions de Corse, d’Egée, de Sardaigne.

E21 : Et vos difficultés ?

EA : Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières car nous avions déjà l’expérience de coopérations transnationales. De manière générale, il n’est pas facile de trouver le bon interlocuteur, qui a les bonnes compétences juridiques par rapport au thème choisi. Par exemple, en Espagne, la compétence incendie appartient aux régions, et non aux départements comme en France. L’appartenance à des réseaux européens permet de contourner cette difficulté, on gagne beaucoup de temps dans la recherche de partenaires.

LBM & AL : Lorsque nous avons défini tous ensemble le projet et ses objectifs sur un terrain concret, cela a été difficile. Il a fallu faire des compromis au regard des volontés initiales de chacun. Mais nous y sommes parvenus. Et puis, sur les quatre ans de coopération, la France et l’Espagne ont connu des élections. Un changement d’élus peut remettre en cause un projet. Pouvoir maintenir les compromis initiaux avec les nouveaux groupes d’élus a été très difficile. Il a fallu les convaincre.

E21 : Quelles sont vos recommandations pour réussir une coopération transnationale ?

EA : Je conseillerais à une collectivité novice de commencer par un projet bilatéral. Par exemple, le Conseil général du Gard s’est rôdé à la coopération transnationale avec les dispositifs européens Leader de 1998 à 2002, avant de se lancer dans Interreg. Le succès d’un projet de coopération européenne repose aussi sur un travail d’équipe entre le service Europe et le service opérationnel au sein de chaque collectivité. Dans notre cas, le service Europe concevait les rapports administratifs et financiers nécessaire à la mécanique Interreg pour que les collègues du service « Incendies » se concentrent sur leurs problématiques techniques. Un duo entre deux services complémentaires est préférable à un seul service qui serait sur ces deux fronts.

LBM & AL : Il est important d’assurer un soutien externe technique, administratif et comptable. Un cabinet d’appui technique a secondé l’ensemble des partenaires sur la gestion administrative d’un programme Interreg. La partie administrative européenne est une lourde contrainte. La rédaction de rapports pour relayer le projet auprès de Bruxelles demande beaucoup de temps et d’énergie. Nous préférerions nous consacrer aux actions communes.

E21 : Votre plus beau souvenir ?

EA : Une réunion en juin 2004, lorsque nous nous sommes retrouvés à près de trente pour finaliser notre candidature. On avait réussi à construire ensemble un projet commun. Il y avait une sorte d’optimisme lucide, avec le sentiment d’inventer quelque chose. On savait qu’on allait y arriver, tout le monde était enthousiaste. Ce projet a été une belle aventure humaine. C’est primordial : sans cet échange humain, un projet marchera moins bien. D’ailleurs, chacun des partenaires a voulu poursuivre la coopération dans de nouveaux projets plus ciblés. Par exemple, le Conseil général du Gard est chef de file d’un nouveau projet Interreg sur les interfaces habitations – forêts. Parmi les partenaires, cinq sur sept viennent de l’ancien projet Incendi.

LBM & LA : Pour nous, c’est l’amitié. Nous avons coupé les frontières et les distances. Si nous rencontrons un problème, nous savons qu’il sera facile de communiquer, de se trouver. D’ailleurs, nous envisageons une future collaboration sur la pétanque à Majorque !

E21 : Les trois mots de la fin ?

EA : Ténacité. Optimisme. Lucidité.

LBM & AL : Technique. Complexe. Productif.

Propos recueillis le 23 juin 2009 par Zita Tugayé, Eurêka 21

Pour en savoir plus :
Le site officiel du Conseil général du Gard
Le site officiel du projet

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