Le Projet EMS-Textile : une occasion unique de promouvoir le développement durable auprès des industries européennes – L’INTERVIEW
Comment promouvoir le développement durable auprès d’entreprises textiles devant faire face à la concurrence indienne et chinoise ? Le projet européen EMS-Textile tente d’apporter un début de réponse à cette problématique épineuse en misant sur les gains liés aux économies d’énergie. Consultant technique pour SIGMA Consultants et coordinateur du projet, M. Thanasis Manoloudis revient pour Eurêka 21 sur l’origine et les résultats de ce projet européen mis en œuvre dans le cadre du programme Energie Intelligente Europe.
Eurêka 21 : Le [Projet EMS-TEXTILE en quelques mots ?
Thanasis K. Manoloudis : Le projet EMS-TEXTILE a permis de valoriser des bonnes pratiques de gestion de l’énergie dans l’industrie textile en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Bulgarie et de créer un nouveau système de gestion de l’énergie fondé sur différents expériences adaptées aux caractéristiques et besoins spécifiques de petites et moyennes entreprises (PME). Les pratiques de gestion de l’énergie présentées ont été mises en œuvre dans le secteur du textile avec pour objectif d’être également transférables à des sociétés d’autres secteurs, motivées par une amélioration de l’efficacité et de la compétitivité.
E21 : Quelles ont été les principales étapes ?
T.M. : Un outil d’audit énergétique a été mis au point afin de contribuer à la formalisation d’une méthode d’audits énergétiques. Des données de consommation énergétique ont été recueillies dans plusieurs pays du monde, afin de définir des critères de référence ainsi qu’un outil d’évaluation comparative. Tous deux peuvent être utilisés pour évaluer les performances énergétiques des entreprises du textile. Trois audits énergétiques pilotes ont été menés dans chaque pays participant, conformément à la méthode d’audit EMS-Textile. Des mesures d’économie et d’efficacité énergétique s’inspirant d’expériences européennes et mondiales ont été recommandées pour les activités textiles énergivores.
E21 : Quel est le contexte de ce projet ?
T.M. : L’industrie textile européenne a essentiellement trois défis à relever. D’une part, elle doit faire face à la concurrence intense de la Chine, de l’Inde et des autres pays producteurs de textiles à bas coûts. D’autre part, la relative petite taille des industries textiles du sud de l’Europe pénalise le secteur à l’exportation. Enfin, la différence croissante entre la qualité et l’innovation des produits textiles nuit gravement à leur valorisation sur le marché.
E21 : Quelle est l’origine du Projet EMS-Textile ?
T.M. : Les raisons de la mise en œuvre de ce projet dans ces quatre pays sont nombreuses. Dans ces pays du sud de l’Europe, l’industrie textile est un des secteurs productifs les plus important. Même si dans de nombreux pays européens, des entreprises se sont déjà impliquées dans l’efficacité énergétique, améliorer la gestion de l’énergie n’était pas une priorité dans ces pays. Le projet EMS-Textile visait donc à promouvoir de meilleures pratiques de gestion de l’énergie au sein des industries textiles nord méditerranéennes ; la gestion de l’énergie étant devenue une priorité compte-tenu de la hausse des prix des combustibles et du réchauffement climatique. De plus, ces partenaires grecs, portugais, espagnols et bulgares avaient déjà collaboré avec succès dans le cadre d’autres projets européens. Les pratiques de gestion de l’énergie ont été développées en étroite collaboration par les différents partenaires tout comme l’exploitation des résultats du projet. Les actions de diffusion et de formation ainsi que le suivi et l’exécution des démarches pilotes ont été conduits de manière coordonnée par le bureau d’assistance énergétique (Textile Energy Offices) de chaque pays et le comité de pilotage du projet.
E21 : Quels acteurs furent mobilisés dans ce projet européen ?
T.M. : Ce projet européen a impliqué non seulement de développer un système approprié de gestion de l’énergie mais également d’entretenir une relation privilégiée avec les secteurs textiles de chaque pays partenaire. L’Association Hellénique de l’Industrie de la Mode (SEPEE) en Grèce, le Centre Technologique des Industries du Textile et du Vêtement (CITEVE) au Portugal, l’Association de Recherche de l’Industrie Textile (AITEX) en Espagne et l’Association Bulgare des Producteurs et Exportateurs de Vêtements et de Textiles (AATEB) en Bulgarie représentent près de 2000 entreprises textiles en Europe. Elles ont donc été associées au projet. CITEVE et AITEX ont apporté leur expertise et leur assistance technique en matière de systèmes de gestion et de questions environnementales. L’absence d’expertise en matière d’économie d’énergie a été contrebalancée par l’implication de l’agence d’ingénierie SIGMA et le Centre Régional de l’Energie de la Mer Noire (BSREC) basé en Bulgarie.
E21 : Quel soutien financier avez-vous reçu de l’Union européenne ?
T.M. : Le projet s’est déroulé sur 30 mois de janvier 2005 et juin 2007. Le budget total du projet s’est élevé à 650 000 euros, cofinancé à 50% par le programme européen « Energie Intelligente Europe » (EIE).
E21 : Quelle est la valeur ajoutée de ce partenariat européen ?
T.M. : Travailler avec des partenaires européens a permis d’accroître l’expertise et le savoir-faire disponible ainsi que de faciliter les transferts de bonnes pratiques et d’innovations mises en place en Europe. Ce partenariat européen a également facilité la communication entre différents acteurs et parties prenantes du secteur textile améliorant l’efficacité des méthodes de gestion et de contrôle. Enfin, cela a permis d’associer le projet EMS-Textile à d’autres projets européens et nationaux augmentant ainsi son impact global.
E21 : Quelles sont les opportunités pour les entreprises ?
T.M. : Au-delà de la réduction des coûts de production et de maintenance, la mise en place d’une gestion efficace de l’énergie au sein d’une entreprise induit plusieurs bénéfices dont une conformité réglementaire accrue, une meilleure communication interne, une implication croissante du personnel et l’application de bonnes pratiques au quotidien. La mise en place du projet EMS-Textile conduit à formuler plusieurs recommandations pour une mise en œuvre optimum :
• Un véritable engagement de la part de la Direction est essentiel pour réussir la mise en œuvre d’une gestion de l’énergie. Ceci implique d’allouer des ressources financières et humaines adéquates et pas uniquement des dispositions établies sur papier.
• De nombreuses entreprises du secteur textile hésitent à adopter des mesures de gestion de l’énergie, car leur situation financière a décliné avec la concurrence asiatique. Cependant, l’augmentation significative des prix du pétrole et de l’électricité incite de plus en plus les entreprises du secteur à mettre en place des mesures d’efficacité énergétique.
• Dans les pays où la loi facilite des pratiques minimales de gestion de l’énergie, les résultats ont été positifs ; cette option devrait être utilisée judicieusement pour éviter de faire peser un fardeau trop lourd sur les entreprises.
• Si l’économie d’énergie annuelle de 1,5% – 2,5% liée à une bonne gestion de l’énergie peut sembler minime, elle peut néanmoins atteindre par accumulation près de 15% voir même 25% après une dizaine d’années.
• Une attribution claire des tâches, une communication interne efficace, une implication constante du personnel et un suivi rigoureux de la consommation énergétique, sont autant d’éléments contribuant à la bonne gestion d’une entreprise.
E21 : Pensez-vous que l’on se dirige vers une plus grande implication des entreprises dans la gestion de l’énergie ?
T.M. : Les prix élevés des carburants ainsi que le réchauffement climatique sont des problèmes soulignant l’enjeu des économies et de la gestion de l’énergie. La concurrence économique acharnée et l’absence de ressources humaines et financières dans de nombreuses entreprises compliquent toutefois la situation. Dans cet environnement controversé, tous les principaux acteurs devraient contribuer autant que possible à l’efficacité énergétique. La coopération est fondamentale que ce soit entre l’Union européenne ou les états membres et les sociétés énergétiques ou les entreprises industrielles. Mais par-dessus tout, c’est une question d’engagement en faveur des principes même du développement durable.
Propos recueillis en mai 2011, par Cédric Burgun pour Eurêka 21