Dunkerque, un écoquartier pour changer de visage – L’INTERVIEW

mars 2010 7 min de lecture
Créateur : narvikk | Crédits : Getty Images/iStockphoto

Le projet Grand Large prévoit la reconversion d’anciennes friches industrielles de Dunkerque en un quartier durable. Au delà de l’éco-construction, Grand Large se veut un quartier citoyen et solidaire. Plus que des murs, c’est un nouveau mode d’habitat convivial et responsable que nous raconte Jean-Louis Muller, délégué général au projet à la communauté urbaine de Dunkerque.

 

Eurêka 21 : Parlez nous du projet Grand Large…

Jean-Louis Muller : Le quartier du Grand Large s’étend sur une quinzaine d’hectares, sur un territoire qui fait partie des anciens chantiers navals. La première tranche de logements est en cours. Les premiers habitants arriveront par vagues successives entre septembre 2009 et avril 2010. Le quartier comprendra alors 230 familles. Puis une seconde tranche de 600 logements est prévue. En tout, près de 900 logements seront construits. Nous avons page blanche sur ce quartier pour proposer un nouveau modèle d’habitat. C’est un lieu intéressant car il se situe entre le centre ville et la station balnéaire, à 10 minutes à pieds de chaque côté.

E21 : On qualifie souvent le projet Grand Large d’écoquartier. Pourquoi ?

JLM : Ce quartier, dans sa conception, permet de lutter contre l’étalement urbain. Nous proposons des logements, et même des maisons, situés en plein centre. Ce projet offre l’opportunité d’un mode de vie sans voiture. Les économies de CO2 sont très importantes. L’école maternelle et élémentaire est à 150 mètres, le collège à 400 mètres. Nous avons prévu 1400 m2 de commerces de proximité. Ce mode de vie représente pour les habitants un gain à la fois de temps, d’argent et de qualité de vie. La collectivité, quant à elle, n’a plus besoin de tirer des kilomètres d’éclairage public ou de tuyaux d’assainissement pour faire vivre un quartier excentré, puisque tout est à proximité.

E21 : Et en termes d’éco-construction ?

JLM : Les habitations consommeront beaucoup moins d’énergie. Elles seront isolées par l’extérieur et alimentées par un réseau de chauffage urbain récupérant une partie de la chaleur de l’usine d’Arcelor Mittal. Pour les ordures ménagères, nous avons mis en place des containers enterrés comme alternative aux poubelles. Les aspects paysagers sont primordiaux, un grand parc sera aménagé au centre du quartier pour une meilleure qualité de vie des habitants.

E21 : Qui sont les principaux partenaires du projet ?

JLM : Nous avons mis en place un véritable partenariat à trois : la collectivité, le groupe de promoteurs – bailleurs Nexity Palm, et Nicolas Michelin qui représente la maîtrise d’œuvre à la fois d’urbanisme et d’architecture. En plus d’être l’architecte des habitations, nous lui avons demandé de définir l’ensemble de la trame urbaine, en ouvrant ce nouveau quartier au reste de la ville. Celui-ci doit être protégé sans être enclavé.

E21 : En fait, il s’agit d’un partenariat public – privé ?

JLM : Oui, mais nous avons en amont une méthode sans doute différente de ce qui se fait habituellement en France. Nous avons lancé un appel à concurrence vers les promoteurs d’abord, sur une tranche théorique de 175 logements, en définissant précisément le nombre et le type de logements. Nous leur avons demandé de répondre sous forme de groupement comprenant au moins deux promoteurs privés et un bailleur social. Chaque groupement doit s’engager sur des bilans promoteurs. Concrètement, nous leur demandons d’estimer leurs charges et la marge qu’ils vont dégager ; ces chiffres serviront de base au protocole d’accord entre la collectivité et le groupement promoteur – bailleur. Cette procédure est plus transparente et permet de sécuriser les promoteurs, qui connaissent leur marge à l’avance. Le groupe de promoteurs – bailleurs a ensuite participé au choix de l’équipe d’architecture et d’urbanisme en s’associant à l’écriture du cahier des charges.

E21 : Comment avez-vous pensé la mixité sociale au sein du quartier ?

JLM : Nous sommes très attentifs au peuplement du quartier, à savoir la répartition accession et locatif social. Le quartier compte 40% de locatif social qui n’est pas séparé des autres types de logement. Ce sont strictement les mêmes habitations que celles qui sont en vente. 50% des logements sont des grands logements, des T4 et T5, conçus pour s’adapter aux besoins des familles. Globalement, cette première tranche comprendra un peu moins de 40% de propriétaires occupants pour 60% de locataires. Nous avons fait ce choix afin d’assurer un relatif turnover des habitants du quartier et de pérenniser la mixité à la fois générationnelle et sociale.

E21 : Quel a été le rôle des citoyens et futurs habitants dans le projet ?

JLM : Dès 2005, nous avons créé un « comité d’accompagnement ». A travers son projet de maison de quartier, il assurera l’accueil des nouveaux habitants et le travail de pédagogie et de sensibilisation à un écoquartier. Cette maison de quartier est autant un concept que des murs, car elle proposera une autre façon de vivre un quartier.

E21 : Quelle a été la principale difficulté ?

JLM : La plus grande difficulté, que nous n’avons pas pu surmontée pour l’instant, est liée à l’installation d’un système de ventilation hybride pour nos grands immeubles. En France, tout nouveau procédé doit être agréé et bénéficier d’une certification expérimentale délivrée par le CSTB [Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, ndlr]. Le dossier a été déposé il y a plus de deux ans et n’est toujours pas réglé. Nous n’avons pas pu attendre. C’est vraiment dommage car nous avons des immeubles tout à fait adaptés à la ventilation naturelle hybride. Ces normes sont incontournables car le promoteur a besoin d’être assuré pour avancer. Les autres pays d’Europe fonctionnent de manière beaucoup plus souple.

E21 : Vos recommandations pour une collectivité territoriale ?

JLM : D’abord qu’elle sache exactement ce qu’elle veut en termes de peuplement. Elle doit faire le cahier des charges politique elle-même, sans se décharger sur un bureau d’études privé. Puis elle doit faire son choix : si elle veut un quartier exemplaire, elle doit mobiliser des budgets en conséquence, mais son modèle sera moins facilement transférable. Nous avons décidé de maintenir des prix raisonnables afin que d’autres puissent s’inspirer de notre projet.

E21 : Quelle est votre vision du quartier achevé ?

JLM : J’espèce que le quartier fonctionnera, qu’il sera vivant. Et ce dès la première tranche. C’est la principale difficulté à venir, d’animer le quartier et les commerces dès l’arrivée des tous premiers habitants. Ils seront seuls quelques années, pendant la construction de la deuxième tranche. Et surtout nous espérons leur donner envie d’apprendre une autre manière de vivre, progressivement, sans révolution.

Propos recueillis le 23 avril 2009 par Zita Tugayé, Eurêka 21

A découvrir : l’article d’Eurêka 21 sur le projet Grand Large de Dunkerque

Pour en savoir plus :
Le site officiel de la Communauté Urbaine de Dunkerque

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