Comment répondre au besoin de logements pour les étudiants tout en valorisant le patrimoine rural et en diversifiant les revenus des agriculteurs ? L’opération « Campus vert » répond à toutes ces problématiques et a fait ses preuves. Aujourd’hui ce sont plus de 500 étudiants qui bénéficient d’un logement au sein d’une exploitation agricole dans un studio de qualité. Mais comment attirer les étudiants en zone rurale et comment convaincre les agriculteurs de s’impliquer dans ce projet ?
Philippe Amielh, Maire de Salomé dans le Département du Nord et Directeur du Réseau Campus Vert répond à nos questions.
Eurêka 21 : Bonjour, pouvez-vous présenter rapidement le concept de Campus Vert ?
Philippe Amiehl : Campus Vert est un réseau agricole proposant des hébergements pour étudiants à loyer modéré chez l’habitant en zone rurale. Le projet de Campus Vert vise qu[atre objectifs : créer du lien social entre agriculteurs et étudiants en confortant un lien intergénérationnel, préserver le patrimoine rural via la rénovation de bâtiments, générer un complément de revenu aux agriculteurs, et proposer aux étudiants un loyer modéré dans un cadre de vie nouveau. Dans le Nord Pas de Calais, Campus Vert a permis la mise en place de 350 studios à la ferme chez 115 agriculteurs situés autour des villes universitaires.
E21 : Quelles furent les motivations initiales ?
P. A. : Elles ont été doubles. D’un côté, la loi décentralisation des pôles de compétences universitaires et une demande croissante de logements universitaires. De l’autre, une population agricole en recherche de nouvelles initiatives et d’une diversification de leur activité. Plutôt que de construire de nouveaux logements, la reconversion de bâtiments déjà existant a été choisie.
E21 : Qui a porté le projet ?
P. A. : C’est une initiative du monde agricole. Nous avons lancé ce projet expérimental autour de Béthune avec quelques agriculteurs motivés pendant 5 ans. Suite au succès, nous avons lancé en 2000 Campus Vert. Le Conseil Régional du Nord Pas de Calais est un acteur majeur du projet. Dès le départ, il a fourni une aide financière aux porteurs de projets. A ces aides viennent s’ajouter des financements européens pouvant aller jusqu’à 30% du coût maximal des rénovations.
E21 : Le projet a-t-il été accueilli favorablement auprès des populations agricoles ?
P. A. : Si au début, l’idée a paru à beaucoup farfelue, très rapidement, le monde agricole a compris l’opportunité et l’intérêt de ce projet. Ce sont les experts en logement étudiant et certains élus qui ont été parfois les plus réticents.
E21 : Qui peut accueillir ces étudiants ?
P. A. : Nous visons en majorité le monde agricole, quelle que soit la taille de l’exploitation, le type de production ou l’âge des exploitants. La seule condition est l’existence sur l’exploitation agricole d’un bâtiment ayant perdu sa fonction de production.
L’objectif est bien au travers les campus verts de valoriser le patrimoine et non de construire des hébergements pour les étudiants.
E21 : Le lien se fait-il réellement entre l’étudiant et l’agriculteur ?
P. A. : Ah oui ! Le contact se fait en général très bien. Bien sûr, il existe deux types d’étudiants : ceux qui ont le lien facile et cherchent à s’intégrer auprès des agriculteurs et d’autres locataires – les studios étant souvent regroupés par quatre cinq par propriété, et les étudiants qui au contraire, recherchent l’isolement. De plus, Campus Vert exige des agriculteurs « d’animer » les lieux, de proposer des activités aux étudiants afin de créer du lien et un partage de savoirs. Par exemple, certains producteurs proposent des produits frais aux étudiants, et ces derniers aident les enfants des producteurs dans leurs devoirs.
E21 : Qu’apporte l’opération Campus vert au territoire ?
P. A. : Les campus verts ont des retombées sur leurs lieux d’implantation. Economiques, d’une part, ne serait-ce que pour les agriculteurs et pour les artisans rénovant les bâtiments. Les étudiants consomment également localement. Dans certains villages plus de trente studios ont été créés, ce qui entraine une nouvelle économie locale. D’autre part, certains étudiants vont aussi s’intégrer dans la vie culturelle ou sportive des villages. Une petite anecdote par exemple, on a deux étudiants, qui, en s’inscrivant dans le club local de football, l’ont fait monté d’une division chaque année. Ces retombées ne sont pas chiffrables, mais elles existent et participent à rapprocher deux mondes souvent éloignés.
E21 : Vous avez créé association. Quelles garanties supplémentaires apportez-vous par rapport à un propriétaire privé?
P. A. : L’avantage du réseau Campus Vert est qu’il impose un cahier des charges exigeant et que les pratiques de loyer sont encadrées. Nous nous assurons de la conformité des logements proposés. Tout est fait pour le confort des étudiants. Bien sur, il y a une réelle contrepartie pour les agriculteurs. En décidant de faire partie du réseau en respectant le cahier des charges et reversant une petite cotisation à Campus Vert, les agriculteurs bénéficient de la « force du réseau », de son image positive et surtout, nous nous occupons de la communication auprès des étudiants. Il faut se rappeler que ce n’est pas une démarche naturelle pour un étudiant d’aller voir un agriculteur pour un logement. Grâce à notre centrale de réservation, l’interface est plus grande et plus pratique pour tout le monde. C’est aussi le cadre bien règlementé du réseau qui fait venir l’étudiant. Avec le turnover important, il est plus pratique pour les agriculteurs de passer par nous dans leurs démarches. Si les loyers sont plus bas que la moyenne, c’est aussi parce que nous nous assurons que les logements soient occupés toute l’année, et ne soient pas vides en été. C’est sans oublier qu’en rentrant dans le réseau, les agriculteurs peuvent alors bénéficier des aides du Conseil régional et de l’Europe.
E21 : C’est donc une réelle démarche gagnant-gagnant ?
P. A. : Oui ! Les agriculteurs comme les étudiants y trouvent leur compte. Cette formule convient à tout le monde.
E21 : Campus Vert est aujourd’hui implanté dans plusieurs régions de France. Malgré son fort intérêt, cette opération rencontre aujourd’hui des difficultés pour s’exporter ? Pourquoi ?
P. A. : Dans le Nord Pas de Calais, il y a eu une réelle volonté politique de soutenir cette initiative. Dans les autres régions, les élus ont donné leur accord, mais sans débloquer de moyens financiers. Or, pour ce projet, on a besoin d’ingénierie en amont et en aval du projet, pour étudier le territoire, pour développer le réseau, démarcher les agriculteurs, mettre en place le cahier des charges… Ceci implique des capitaux initiaux. Dans ces régions, les agriculteurs se lancent l’opération mais le réseau n’existe pas pour les soutenir. La réussite de ce projet dépend principalement d’un soutien politique.
E21 : Que conseilleriez-vous à un territoire souhaitant développer un tel projet ?
P. A. : Mobilisez les élus ! Allez les voir. Il faut qu’ils portent le projet, l’intègrent et l’accompagnent. Ce projet n’implique pas d’importants financements et les retombées économiques, sociales et patrimoniales sont fortes !
E21 : Un mot de conclusion ?
P. A. : Depuis maintenant 10 ans, j’ai pu voir à quel point la demande sociale est croissante. Les Campus Verts fonctionnent et ravissent aussi bien étudiants qu’agriculteurs. Au point que nous n’avons pas assez de logements pour accueillir tous les étudiants ! Avec un minimum de volonté politique et de financement, le développement des campus verts pourrait permettre de donner un nouveau souffle au monde rural et au logement étudiant !
Pour Eurêka 21
Cédric Burgun, le 19 novembre 2010
A découvrir également l’article sur les logements étudiants à la ferme, consacré au réseau Campus vert, par Eurêka 21 !