INTERVIEW – « AIMES+ » : 14 universités françaises s’engagent pour améliorer l’accueil des étudiants exilés

juillet 2024 9 min de lecture
Projet AIMES+
(c) réseau MEnS

Le projet AIMES+, porté par le réseau Migrants dans l’Enseignement Supérieur (MEnS), vise à faciliter l’insertion des étudiants exilés dans 14 établissements universitaires français. Co-financé par le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI) de l’Union européenne, ce projet contribue à améliorer les dispositifs d’accueil des étudiants exilés en renforçant les parcours « Passerelle » existants dans les établissements. Mis en œuvre de 2023 à 2026, AIMES+ a déjà permis de financer 169 postes d’enseignant ou administratifs sur la première année du projet. Camille Hanon, directrice de l’association du réseau MEnS, et Loïc Tourniaire, chargé de projet AIMES +, ont répondu à nos questions.  

eurêka 21 : En quelques mots, qu’est-ce que le réseau MEnS ?

MEnS : Le réseau MEnS signifie Migrants dans l’Enseignement Supérieur. Ce réseau a été créé de manière informelle en 2017 et n’est devenu une association à personnalité juridique qu’en 2020. L’idée est née dans le contexte de la guerre en Syrie, en 2015. Face à l’arrivée d’étudiants exilés et au nombre croissant de candidatures dans les universités françaises, les présidents, vice-présidents d’universités et certains membres de la communauté universitaire (professeurs de Français Langue Étrangère (FLE), personnels administratifs) se sont regroupés pour créer ce réseau. Depuis, sa croissance a été très rapide et le MEnS compte aujourd’hui 56 établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) membres.

Le MEnS a pour mission de soutenir et d’améliorer les dispositifs d’accueil des étudiants exilés des établissements membres. Le MEnS s’efforce par ailleurs de coordonner et de représenter ses membres, rendre visibles leurs actions, porter leurs questionnements, propositions ou revendications auprès des partenaires et autorités compétentes. Ce travail suit l’objectif de lever les freins à l’insertion académique et professionnelle des étudiants exilés.

eurêka 21 : Quels sont les obstacles à l’insertion académique identifiés par vos membres ?

MEnS : Il y a trois grands freins. La langue tout d’abord. Pour accéder aux formations en France, il est souvent nécessaire d’avoir un niveau entre B1 et C1, or il existe peu de formations gratuites qui mènent à ces niveaux. Ensuite, la reconnaissance des diplômes entre le pays d’origine des étudiants et la France est un réel enjeu. Enfin, les conditions d’accueil notamment matérielles sont un réel obstacle dans l’accès aux études.

Pour lever ces barrières, nous avons développé des diplômes universitaires « Passerelle » (DUP), d’une durée d’un semestre à un an, entièrement gratuits. Ces dispositifs comprennent entre 200 et 300 heures de formation en français (FLE et Français sur Objectif Universitaire) par semestre, un accompagnement individuel pour la construction du projet académique et professionnel et une dimension interculturelle forte. Ces parcours offrent également un accès aux bourses du CROUS pour que les étudiants puissent étudier sereinement.

eurêka 21 : Comment est né le projet AIMES+ ? Pourquoi avoir eu recours au FAMI pour le financer ?

MEnS : Le réseau étant relativement jeune, il reposait beaucoup sur les volontés individuelles de ses membres. Dans l’objectif d’enraciner ses diplômes dans le temps, nous recherchions à remédier à notre problème principal : l’enjeu financier.  Le Ministère de l’Intérieur nous a alors conseillé de solliciter le FAMI, Fonds Asile Migration Intégration de l’Union européenne. Les Ministères de l’Intérieur et de l’ESR finançaient déjà un projet intitulé AIMES permettant la levée de fond et la redistribution de l’argent aux universités pour l’accueil des étudiants exilés mais celui-ci ne finançait que 10 à 15% des formations. Nous avons monté le projet AIMES+ avec un consortium de 14 établissements du réseau MEnS pour augmenter la part de cofinancement. À ce jour, c’est le plus gros consortium du FAMI en France. Nous avons obtenu une subvention de 5,5 millions d’euros afin de pérenniser les formations créées par le réseau MEnS via le recrutement de personnel.

eurêka 21 : Le projet a été lancé en 2023 : quel est le bilan de cette première année ?  

MEnS : En 2023, nous avons formé 1 100 étudiants. La subvention offerte par le FAMI a permis de financer 169 postes, dont 90 postes d’enseignants de FLE. L’accès à ce financement nous a aussi offert une vraie dynamique ainsi que de la visibilité à l’échelle nationale.

eurêka 21 : Les programmes peuvent différer entre universités ; quelles sont les actions communes entre les membres du consortium de AIMES+ ?

MEnS : Dans l’objectif d’homogénéiser les programmes, nous avons établi à l’échelle du réseau une maquette cadre de la formation « Passerelle » que chacun doit respecter. Si cette maquette n’est pas respectée, le Diplôme Universitaire Passerelle Étudiant en Exil (DUP) n’est pas habilité, et n’est donc pas reconnu comme un diplôme officiel. Les universités doivent donc faire valider leur programme auprès du MEnS qui a la compétence déléguée du MESR pour faire ce travail.

Nous ne disposons d’aucune autorité sur les universités mais nous émettons également des recommandations par la publication de rapports ou en partageant des bonnes pratiques lors d’ateliers. Le réseau incite notamment les universités à s’engager politiquement sur les sujets d’accueil et d’insertion académique des personnes exilées.

De plus, nous mettons en place des formations sur le droit d’asile, le droit des étudiants exilés ou encore sur la santé mentale des étudiants.

Le projet AIMES+ a permis de renforcer les programmes d’accueil des universités partenaires à plusieurs égards : meilleur respect des maquettes du fait de l’augmentation des moyens, davantage de personnel pour assurer le développement et la communication sur les dispositifs, meilleur suivi administratif et financier en raison de l’obligation du reporting inhérente aux programmes européens.

eurêka 21 : Avez-vous pour ambition de vous étendre à l’échelle européenne ?

MEnS : Pour le moment nous agissons à l’échelle française. Nous avons des contacts avec des universités européennes mais la législation et le fonctionnement administratif des autres États membres sont différents. Nous souhaitons d’abord consolider nos formations à l’échelle nationale avant d’étendre le modèle ailleurs en Europe.

eurêka 21 : Comment les étudiants peuvent-ils accéder aux formations « Passerelle » ? 

MEnS : Pour candidater, les étudiants sont d’abord invités à directement contacter les universités par mail, à l’exception de la région Ile-de-France où nous avons créé en 2023 une plateforme unique de candidature.

Chaque université a un nombre de places variable. À Lille ou au Mans par exemple, il y a entre 100 et 150 places disponibles par an tandis que d’autres universités peuvent en accueillir entre 10 et 15. Pour la sélection, cela se fait au cas par cas. Les établissements vérifient d’abord que les critères d’éligibilité sont respectés ; niveau de français, niveau équivalent du baccalauréat minimum et avoir plus de 18 ans. Il est aussi étudié la cohérence géographique, la distance entre le lieu de résidence et l’université…

Malgré tout, il faut bien retenir que les universités doivent respecter un principe d’inconditionnalité de l’accueil. Les universités sont compétentes pour reconnaître des parcours universitaires, des projets académiques, et le niveau de langue française. Cependant, elles n’ont pas de compétence préfectorale, c’est-à-dire aucun droit à vérifier la régularité au séjour des étudiants.

eurêka 21 : Comment vous faites-vous connaître des étudiants exilés ?

MEnS : Nous passons l’information via des relais associatifs locaux. Lorsque les étudiants font une demande d’asile en France, ils sont souvent en contact avec des associations qui ont connaissance des DUP. Il existe aussi des sites et des outils bien identifiés par les étudiants, tel que le site Réfugiés.info par exemple. Au-delà, le bouche à oreille y est pour beaucoup : les établissements travaillent à se faire connaître sur leur territoire.

De notre côté, nous collaborons avec les associations pour mieux former les assistants sociaux. Le nombre de demandes témoignent de la visibilité de nos formations : en 2023, il y a eu plus de 6 000 demandes, alors que nous proposons 1 800 places.

eurêka 21 : Quels sont les retours des étudiants et des universités depuis le début du projet AIMES+?

MEnS : À la fin de chaque semestre, nous produisons un questionnaire de satisfaction diffusé auprès des 14 universités partenaires et de leurs étudiants bénéficiaires. En 2023, les étudiants étaient très satisfaits. Un point d’amélioration a toutefois été noté : développer les immersions des étudiants dans des cours thématiques (histoire, sciences fondamentales, littérature…). Du côté des universités, et malgré les défis liés à la gestion d’un projet d’une telle ampleur, le bilan reste positif puisque cela leur permet de recruter des personnels mobilisés sur ce dispositif et d’assurer sa pérennité jusqu’en 2026.

eurêka 21 : Au-delà du projet AIMES+, est-ce que d’autres universités peuvent rejoindre le réseau MEnS ?

MEnS : Toute université française peut rejoindre le réseau MEnS. Il suffit de nous contacter, signer une charte pour s’assurer que l’université adhère bien aux valeurs de notre réseau et de payer une cotisation annuelle de 1 500€ (qui passera à 3000€ à partir de 2025). En rejoignant notre réseau, l’université pourra faire habiliter sa formation Passerelle, bénéficier de la levée de fonds, et aura accès à toutes les ressources du réseau ainsi qu’à nos formations et nos événements annuels.