Le
train
du
numérique :
un
voyage
à
la
portée
de
tous

mai 2015 9 min de lecture

En
 2013,
le
 gouvernement
lance
le
 premier
 appel
 à
 projet
 sur
les
 PTCE
 (Pôle
 territorial
 de
 coopération
 et
d’innovation).
Un
groupe
d’acteurs
de
l’agglomération
tourangelle
se
saisit
de
cette
opportunité
pour
lancer
«Coopaxis ».
Porté
par
la
coopérative
Artefact,
ce
projet
vise
à
promouvoir
l’usage
du
numérique
au
service
du
 développement
 économique
 et
social du
 territoire,
 tout
 en
 encourageant
 la
 coopération
 entre
 acteurs
locaux.
 Sélectionné
 parmi
 une
 vingtaine
 d’autres
 lauréats, le
 projet
 démarre
 en
 2014 :
 ses
 fondateurs
 et
partenaires
 ont
 trois
 ans
 pour
 concevoir
 un
 modèle
 économique
 alternatif,
 le
 tester
 et
 en
 assurer
 la
pérennité.


 

Passivité, addiction, incitation à la violence : les conséquences d’un mauvais usage des jeux vidéos sur les jeunes générations hantent les éducateurs, les professionnels de la jeunesse, les parents. Un potentiel encore inexploité se cache pourtant derrière ces produits informatiques, pouvant se transformer en véritables outils d’éducation populaire et de démocratie participative. L’opération Sanikart, lancée en 2015 sur l’agglomération de Tours, le prouve : à travers un jeu vidéo libre de course de karting, en 3D, les habitants de l’agglomération tourangelle sont mobilisés pour dessiner la carte du Sanitas, un quartier sensible situé dans le centre de Tours.
Le jeu ressemble à une sorte de Mario Kart : les décors du circuit de course sont ajoutés de manière participative par les joueurs eux-mêmes, à l’image de leur quartier ; ils sont ensuite modélisés en 3D grâce à un logiciel et des photos prises par les gens dans la rue permettent de les rendre plus réalistes. Le bénéfice tiré en est double : d’un côté les habitants découvrent leur quartier, apprennent à s’y situer et à se déplacer ; de l’autre, jeunes et adultes
échangent autour de leur usage des rues, des équipements, confrontent leurs points de vue et réfléchissent à des solutions nouvelles pour le bien commun des habitants. Chacun est ainsi susceptible de s’emparer du jeu, d’en faire un outil de réflexion et d’action : acteurs publics, institutions éducatives, associations socio-culturelles, entreprises, société civile, dont jeunes.

Mais d’où vient cette action ? Comment a-t-elle réussi à capturer l’attention de l’opinion publique, souvent sceptique vis-à-vis des TIC ? Pour répondre à ces questions, il faut revenir au projet bien plus étendu ayant donné vie au Sanikart. Car ce jeu vidéo n’est qu’une des nombreuses actions innovantes autour des TIC lancées par le Pôle Territorial de Coopération Économique (PTCE) «CoopAxis», premier incubateur de la région Centre dédié à l’économie créative, l’innovation sociale et aux usages du numérique au service du territoire. Porté par la Coopérative d’activité et d’emplois culturelle Artefact, «CoopAxis» est né de la rencontre entre cette structure et plusieurs autres acteurs du territoire dont le réseau d’économie solidaire Cré-Sol et le laboratoire d’innovation par les services Nékoé. Aujourd’hui, ce PTCE regroupe plus d’une vingtaine de partenaires, souhaitant faire des TIC un outil privilégié de développement économique et d’innovation sociale, en facilitant l’appropriation de ces outils par l’ensemble de la société civile.

Plus précisément, « CoopAxis » a défini 5 axes stratégiques pour développer son projet :
1) développer la confiance et favoriser la coopération entre acteurs, via l’interconnaissance, l’échange, la mutualisation des moyens et des compétences ;
2) encourager la montée en compétences des acteurs dans le domaine des TIC ;
3) organiser la mise à disposition de « Datas » (données numériques) afin de favoriser l’émergence de nouveaux projets ;
4) permettre aux acteurs locaux de s’appuyer sur les infrastructures du pôle et 5) accompagner l’émergence de projets innovants et solidaires ;
promouvoir les usages du numérique en faveur de l’innovation sociale et du développement économique.

Avec les acteurs tourangeaux, le Pôle joue donc un rôle de facilitateur. Son objectif est d’encourager les rencontres, la mise en réseau, l’émergence d’idées nouvelles et innovantes. Son projet repose sur une confiance tenace envers les possibilités offertes par l’usage des TIC, à condition que ces technologies soient comprises et maîtrisées par l’ensemble de la population. Les membres du pôle sont déjà nombreux et variés : on y retrouve des entreprises, des associations, des centres de formation, des laboratoires de recherche, des collectivités territoriales, etc. L’objectif est toutefois d’aller à la rencontre des autres acteurs du territoire, pour favoriser l’émergence d’une «intelligence collective ». C’est ce que nous explique Malvina Balmes, salariée auprès de la Coopérative d’activité et d’emplois culturelle Artefact. Avec deux autres collègues de la Coopérative, elle est chargée de la mise en œuvre de CoopAxis. Elle intervient notamment dans le cadre de la politique de la ville, s’occupe de l’intégration de nouveaux membres au sein du Pôle et pilote de nombreux projets concrets.

Eurêka 21 : Pouvez-vous nous donner un exemple d’infrastructure mise en place par CoopAxis» ?

Malvina Balmes: L’exemple du Living Lab est particulièrement représentatif des actions menées par CoopAxis. La mise en place de ce laboratoire de test de services a été confiée à Aktan, structure dédiée à l’innovation services. Il devrait s’installer sur le site Mame, à Tours, en 2016. Il s’agit de créer un espace de coworking, libre d’accès, où les acteurs locaux (entreprises, associations, structures publiques, acteurs individuels, etc.) pourront participer à la création de services innovants, adaptés aux besoins des utilisateurs potentiels. De nouveaux usages seront aussi testés afin d’innover les services et outils existants. Aktan est encore en train de modéliser ce Living Lab, en imaginant tous les scénarios de fonctionnement possibles et en ouvrant à la participation de tout type d’usagers. Parallèlement nous menons aussi un travail de communication auprès de la société civile, pour sensibiliser les porteurs de projets potentiels à cette démarche. Le Living Lab sera une structure physique permanente mais aura aussi une fonction « nomade » dans la ville, avec une antenne mobile se déplaçant sur l’ensemble du territoire.

E21: Revenons au Sanikark, un des nombreux projets menés par CoopAxis. Pourquoi un tel projet autour d’un jeu vidéo ?

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M.B.: Le jeu vidéo existe depuis 2013. Il a été fabriqué par Cyrille Giquello, salarié d’Artefacts et agitateur socio-numérique pour Coopaxis et un bénévole du Fun Lab. Ce jeu a déjà fait l’objet de petits ateliers pour que les habitants du quartier (jeunes et moins jeunes), et même d’autres quartiers de l’agglomération de Tours, le découvrent. Mais ce n’est que depuis 2015 que l’« Opération Sanikart » a été lancée. Il s’agit de jouer, certes, mais nous voulons faire de ce jeu vidéo un outil de découverte des usages créatifs du numérique, un support d’apprentissage et d’acquisition de nouvelles compétences, un outil de médiation sociale qui interroge le cadre de vie et qui permet de valoriser l’image du quartier.
Des ateliers vont avoir lieu à partir de la fin du mois de mai avec l’Accueil de Loisirs Pasteur de Courteline, en direction des jeunes ; avec le Centre social Pluriel(le)s (au sein de l’EPN), dans le cadre de la programmation jeunesse mais ouverts à tous les curieux (jeunes ou moins jeunes) ; avec 5 adolescentes bénévoles, qui nous aiderons à tester le module nomade du Living Lab dans une tente installée dans le jardin Theuriet, en invitant les gens du quartier à se ballader virtuellement dans le quartier via le Sanikart. Nous réfléchissons aussi à des actions avec la Mission locale et des antennes emploi de proximité, pour travailler sur les compétences numériques mais aussi la mobilité, la citoyenneté, l’accès aux services publics. A l’heure d’aujourd’hui, le numérique n’est pas assez pris en compte par les professionnels de la jeunesse et de l’insertion : des projets comme Sanikart visent à rattraper ce retard par un mode ludique créatif et collaboratif.

E21: D’autres exemples d’actions…?

M.B.: L’observatoire des usages numériques et collaboratifs, qui valorise des pratiques exemplaires développées sur notre territoire dans différents domaines, tel que l’économie sociale et solidaire, et qui produit des données qualitatives sur les représentations et les usages du numérique sur notre territoire. Pour donner à voir ces ressources nous développons collectivement le wiki Savoirscom1.comptoir.net. Il s’agit d’une boîte à outils numérique, favorisant l’accès à l’information et le partage d’expériences. A l’intérieur, on y retrouve des exemples de projets, de fiches méthodologiques, des ressources documentaires, etc. Certains projets menés par les membres de CoopAxis sont d’ailleurs présentés dans cet observatoire.

E21: Quel est le lien de votre projet avec le territoire ?

M.B.: Nous espérons participer à l’essaimage d’une nouvelle culture des usages numériques, qui remette l’humain au centre, développe la créativité, notamment sur le plan économique. Les gens se sentent souvent victimes du numérique : il est donc crucial qu’ils s’approprient cet outil au lieu de le subir ou d’en être de simples consommateurs. En s’appuyant sur le potentiel du numérique, notre projet vise ainsi à renforcer le pouvoir d’agir des gens et leur capacité à entreprendre de manière collective sur leur territoire.

E21: Selon vous, quels sont les conseils pour assurer le succès d’un tel projet ?

M.B.: Comme le dit Michel Briand, lorsqu’il témoigne de sa longue expérience autour du numérique et de la démocratie locale, il s’agit en premier lieu de « faire avec », de se donner le temps pour assimiler ce genre de changements. Une véritable transformation culturelle est en cours et tout le monde doit être mis en capacité de se l’approprier. Un projet de ce type nécessite donc une bonne dose de militantisme au sein de ses promoteurs, mais aussi une certaine ouverture d’esprit chez les membres de la société civile. Il faut ensuite travailler le langage, construire un discours cohérent et un vocabulaire commun, sachant toutefois que les actions concrètes restent l’arme de conviction la plus efficace.

Flavia Lucidi, pour Eurêka 21, avril 2015

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